Hitler-Netanyahu-Mufti : la vérité historique

Netanyahu, à trop vouloir donner d'importance au grand mufti, réécrit l'histoire sans tenir compte d'une chronologie de l'extermination désormais établie.

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Benjamin Netanyahu, à trop vouloir donner d’importance au grand mufti, réécrit l’histoire sans tenir compte d'une chronologie de l'extermination désormais établie.
Benjamin Netanyahu, à trop vouloir donner d’importance au grand mufti, réécrit l’histoire sans tenir compte d'une chronologie de l'extermination désormais établie. © JACK GUEZ

Temps de lecture : 4 min

Si l'on en croit les propos de Benjamin Netanyahu, lorsque le grand mufti de Jérusalem rencontre à Berlin Adolf Hitler, le 28 novembre 1941, il l'aurait persuadé de ne pas expulser les juifs d'Europe vers la Palestine, mais de les brûler tous. Toujours selon le Premier ministre israélien, la relation de cause à effet serait dès lors facile à établir : le président du Conseil suprême musulman, Ali Al-Husseini, plus connu sous le nom de grand mufti de Jérusalem, serait ainsi directement à l'origine de la solution finale, ancrée dans les mémoires avec la conférence de Wannsee qui eut lieu le 20 janvier 1942. Comment mieux faire du grand mufti le grand Satan, un Hitler bis version musulmane ?

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Responsable de la mort de milliers de juifs

Il ne s'agit pas ici de nier l'antisémitisme du mufti. Au contraire. Comme le rappelle Matthias Küntzel dans son récent livre, Jihad et haine des juifs (éditions de l'Artilleur, voir Le Point n° 2 249), il combat les immigrés juifs en Palestine dès la Première Guerre mondiale. En 1929, il inspire le premier grand pogrom à Jérusalem et se rapproche dans les années 1930 des nazis qui le financent. À partir de 1939, il installe au sud de Berlin une radio qui émet en arabe vers le Proche-Orient, diffusant des programmes antisémites et en 1941, il suscite le putsch pro-allemand en Irak. En 1940, dans un brouillon, il écrit : « L'Allemagne et l'Italie reconnaissent aux pays arabes le droit de résoudre le problème juif. » Il ne cesse de souligner les points communs entre islam et nazisme, dont l'antisémitisme, et encourage la formation en 1942 d'une unité SS postée à Athènes, prête à poursuivre en Palestine la politique de la Shoah en cas de succès des troupes de Rommel en Afrique du Nord. En 1943, lorsque Himmler veut échanger 20 000 prisonniers allemands contre 5 000 enfants juifs qui auraient émigré en Palestine, le grand mufti combat avec succès ce projet, de même qu'il empêche plusieurs milliers d'enfants juifs bulgares, roumains et hongrois, d'émigrer au Proche-Orient. Il est donc responsable de la mort de milliers de juifs. Dont acte.

Revenons aux propos de Netanyahu. Comme nous le suggère Matthias Küntzel, le Premier ministre s'appuie sur un ouvrage rédigé par l'Israélien Barry Rubin et l'Allemand Wolfgang Schwanitz, Nazis, Islamists and the Making of the Modern Middle East, paru en 2014, qui établit le lien entre la visite du grand mufti le 28 novembre 1941 et la convocation lancée le lendemain par Heydrich d'une conférence qui sera celle de Wannsee. Mais fin novembre, nous rappelle Küntzel, « la Shoah a déjà commencé et Hitler n'a pas besoin des conseils du grand mufti ». Si l'on s'appuie sur les travaux qui font autorité de Christopher Browning, Les Origines de la solution finale (Points Seuil), il est d'abord établi que les nazis ont depuis longtemps abandonné les politiques d'émigration et d'expulsion (le plan Nisko d'Eichmann de l'été 1939 ou le plan Madagascar de l'été 1940 envisagé après la victoire contre la France et lorsqu'un succès encore possible contre l'Angleterre aurait permis d'évacuer par les mers 1 million de juifs par an vers l'île-ghetto de Madagascar). Fin novembre 1941, Hitler ne peut donc évoquer sérieusement l'émigration des juifs vers la Palestine. Le 31 juillet 1941, soit quatre mois auparavant, Goering a déjà donné l'ordre écrit à Reinhard Heydrich de mettre en place un plan qui réglerait la solution finale souhaitée de la question juive.

Premiers tests de gazage

Comme le montre Browning, les nazis sont passés par plusieurs solutions finales différentes – expulsion, émigration - et en octobre 1941, avec les succès foudroyants contre l'URSS, qui radicalisent la politique nazie et la possibilité de purifier l'Europe, on passe au stade de la liquidation. Les premiers tests de gazage dans des camions sont pratiqués en octobre 1941 et c'est ce même mois qu'est décidée la création des premiers camps d'extermination dans le cadre de l'Aktion Reinhard, en premier lieu, Belzec, qui débute le 1er novembre 1941, donc largement avant la rencontre entre Hitler et le grand mufti. Quant à la phrase qu'aurait lancée celui-ci, « brûlez-les», elle participe d'une réécriture a posteriori, car à cette époque, jusqu'au printemps 1942, il n'est question encore que de gazage des juifs. Enfin, Browning démontre clairement que la solution finale n'est pas à attribuer au processus décisionnel d'un seul homme, Hitler, mais à une série d'initiatives qui interprètent une volonté globale de Hitler de destruction des juifs, exprimée dès le célèbre discours du Reichstag du 30 janvier 1939. L'idée d'une conversation décisive est donc, par ailleurs, complètement absurde.

En résumé, Netanyahu, à trop vouloir donner d'importance au grand mufti, réécrit l'histoire sans tenir compte d'une chronologie de l'extermination désormais établie avec certitude, même si ce personnage n'a cessé de proférer avant, pendant et après la guerre, un antisémitisme virulent dans tout le Proche-Orient.

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Commentaires (8)

  • MIRA.B

    Pas de panique Bibi ?
    La situation serait-elle donc si grave pour que le Shin Beth, vous conjure d'adopter, enfin, des positions plus justes et modérées ?

    Seriez-vous un irresponsable va-t-en-guerre qui commence à être lâché par les siens ?

  • ramuncho

    Il ne faut pas oublier qu'EL HUSSEINI faisait partie de la cour de Hitler et qu'il a embrigadé un régiment de 10000 bosniaques qu'il a mis a la disposition de son ami Hitler.

  • Opéra-18-32

    J'ignorais cette connivence entre le mufti en question -dont le "prim'" israélien exagère nettement le rôle- et les nazis. Probable que ces derniers n'avaient pas besoin de lui pour que de "drôles" d'idées leur viennent en tête. S'il n'y avait entre Israël et la Palestine une situation de guerre, on pourrait dire que le numéro 1 du 1er pays nommé agirait de "bonne guerre" en effectuant ces rapprochements hasardeux. Mais il y a la guerre et ses propos ne sont guère faits pour apaiser la situation.